Compétences psychosociales chez les adolescent(e)s dans le contexte scolaire martiniquais

Sophie Girardin, master Encadrement éducatif

Université des Antilles

Cette contribution s’appuie sur des travaux de recherches menés sur la bienveillance éducative, la psychologie sociale et la science du développement de l’adolescent. Huit assistants d’éducation, une classe de 3e et un groupe de six à huit collégiens de 6e et de 3e ayant des difficultés de comportement (et dont les compétences psychosociales font défaut d’après leurs réponses données dans les questionnaires d’auto-évaluation) servent à tester cette hypothèse : Est-ce que le développement des compétences psychosociales a un impact positif sur la conduite des adolescents en difficulté de comportement ? À l’aide de la pédagogie différenciée et de plusieurs méthodologies, proposant ateliers de parole, jeux de rôles et exercices ludiques, est visée la réduction de l’échec scolaire en Martinique.

Comment citer cet article ? : Girardin, S. (2020). Compétences psychosociales, adolescence et étude des sciences comportementales dans le contexte scolaire martiniquaisÉtudes & travaux de l’OCCS, n°2.

D’une part, la question des Compétences psychosociales est connue des professeurs – puisqu’elle rentre, depuis 15 ans, dans le cadre du Socle commun de Connaissance, de Compétences et de Culture – et qu’elles sont enseignées de manière transversale et à travers l’éducation morale et civique, de la maternelle au lycée. On attribue à l’école à la fois « une vocation socialisatrice » (Durkheim, XIXe siècle ; Dewey, 1916 ; Gaussel, 2018) et la charge de faire acquérir des compétences. Cependant, « ces dernières font débat actuellement. » Pour certains enseignants en effet, compétences et savoirs sont concurrentiels et craignent que la transmission des premières ne se fassent au détriment de la transmission des seconds (Carette et al., 2014 : 8). Or, depuis la loi de Refondation de l’École, l’accent est mis sur les savoirs fondamentaux se rapportant à l’intelligence logico-mathématique et à l’intelligence langagière. Les enseignants considèrent que l’éducation émotionnelle ne fait tout simplement pas partie de leurs attributions et peu ont d’ailleurs été formés à cela (Claeys-Bouuaert, 2018) et sont désarmés face aux comportements des élèves difficiles (Debarbieux, 2018 ; Tambareau, 2019). D’autre part, tout au long de leur scolarité, les élèves côtoient des pairs et apprennent au sein d’un groupe qu’ils n’ont pas choisi. C’est bel et bien « cette double exigence d’apprentissage et de socialisation », qui déclenche une forme de souffrance chez eux (Catheline, 2016). Mais que se cache-t-il derrière ce terme complexe de compétences psychosociales appelées plus simplement « life skills » dans les pays anglophones ?

1.   Définition et enjeux des compétences psychosociales

D’abord, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, une compétence psychosociale développée consiste en« la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne, à maintenir un état de bien-être mental et à le démontrer au travers d’un comportement adaptatif et positif lors de ses interactions avec les autres, sa culture et son environnement » (Encinar, Shankland et Tessier, 2017).

Ces compétences sont dites cognitives, sociales et émotionnelles et regroupées en 5 paires :

– « Savoir résoudre des problèmes / savoir prendre des décisions ;

– Avoir une pensée créative / avoir une pensée critique ;

– Savoir communiquer efficacement / être habile dans les relations interpersonnelles ;

– Avoir conscience de soi / avoir de l’empathie ;

– Savoir réguler ses émotions / et savoir gérer son stress » (Graner, Fortin & Liatar, 2016).

Mais pourquoi est-il si important de les développer chez ceux qui ne les ont pas acquises ?

En fait, où qu’il soit dans le monde, un enfant qui vit dans un climat relationnel positif, dans lequel ses proches sont dotés de ces compétences psychosociales, aura tendance à développer ces dernières beaucoup plus facilement que les autres (Mangrulkar, 2001) et elles sont bénéfiques pour le développement de l’enfant et de son bien-être, dès la petite enfance et ce, quelle que soit la personne qui s’occupe de lui : père, nourrice, famille ou éducateurs… d’après Guillemont & Lamboy (2014).

En effet, d’après leurs études basées sur les trente dernières années, l’enfant sera davantage protégé des « troubles psychiques (tels que les troubles de conduite, les addictions, les troubles du comportement alimentaire), mais aussi des problèmes physiques (liés à l’obésité, aux accidents, etc.) et sociaux (tels que la délinquance, les comportements antisociaux, l’absentéisme ou l’échec scolaire, la maltraitance, une grossesse adolescente, etc.)» contrairement à d’autres enfants dont les ascendants ont des « pratiques parentales problématiques (tels que le manque de sécurité et de chaleur, la discipline inadaptée, l’incapacité à fixer des règles) ».

Par conséquent, nous portons un intérêt particulier aux élèves qui ont des difficultés de comportement, car chez eux les compétences psychosociales font défaut. Certains peuvent avoir vécu des traumatismes (Barudy) ou n’ont pas grandi dans un environnement qui les a favorisées (Fortin, 2015 ; Guéguen, 2018), d’autres ont un problème neurologique qui bloque leur apprentissage ou leurs émotions (Damasio, 1995).

De plus, sachant qu’il y a 442 incidents recensés, par jour, au sein des collèges et des lycées de France et que près de la moitié des élèves sont témoins de violence, d’après le Journal Le Parisien (2017), il semble que 60 % des collèges soient concernées par des violences verbales et physiques d’après l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI) et la Direction générale de la scolarité. Parmi eux, 86 % des élèves en sont les auteurs et 1,3 % sont attribuées aux personnels et 78 % des victimes sont des élèves. En effet, un jeune sur dix subit un harcèlement scolaire et un élève harceleur manque notablement d’empathie, d’après Favre et Zanna (2019).

Par conséquent et afin de lutter contre ce phénomène, les programmes de l’Éducation nationale prônent le développement des compétences psychosociales, car elles permettent non seulement de « prévenir le sentiment d’impuissance et d’inefficacité conduisant au découragement, à l’inaction et à la dépression. » Elles facilitent également « le sentiment d’appartenance à un groupe social et plus généralement l’intégration dans la société, pour dépasser la peur de l’inconnu, du différent, du racisme et de la xénophobie. » Enfin, elles évitent « le repli sur soi et le refus de prise de risque, pour, au contraire, bâtir un monde d’échanges et de partage » (Julien Masson[1], 2019, reprenant les propos de Fortin). Et à l’adolescence, elles seront d’autant plus utiles que les émotions sont confuses et qu’elles participent à « l’acquisition d’un climat scolaire plus apaisé. » Heureusement, en éduquant à la conscience de l’existence de l’autre par l’intermédiaire du théâtre-forum ou d’activités sportives (Zanna, 2019) et aussi en utilisant la biblio thérapie (Guéguen, 2018), l’éducateur peut renforcer ou développer l’empathie chez les élèves.

Au fil des recherches, nous en avons conclu que l’éducation aux compétences psychosociales peut se faire tout au long de la vie et elle est un enjeu majeur pour l’élève en matière de bien-être, de qualité de vie, de réussite, de climat scolaire et surtout elle permet le progrès social des individus (OCDE 2016 ; Lindsay & Turcotte, 2014 : 83).

Bibliothèque Schœlcher. Crédit photo : Weiss P.-O.

2.   Étude des sciences comportementales des adolescents et psychologie positive

Tout d’abord, Dewey[2], pionnier en psychologie du développement et en recherche-action, considère que « l’enfant n’est ni une cire sur laquelle l’éducation doit laisser son empreinte, ni un être dangereux qu’il faut civiliser, mais un individu en croissance, ce qu’il ne cessera d’être d’ailleurs à aucun moment de sa vie. » En effet, « cela signifie qu’il n’est doté d’aucune autre nature que cette capacité à croître, ni une bonne qu’il suffirait de laisser s’épanouir ni une mauvaise qu’il faudrait redresser ». Il détermine trois objectifs en matière d’éducation : le développement naturel, l’efficacité sociale c’est-à-dire la socialisation de l’esprit, pour faire ses propres choix et enfin la culture.

Au regard de la psychologie positive et des travaux de Jean Heutte (2019 : 89), William James a été un des premiers à s’intéresser au développement humain optimal, car il se demandait « pourquoi certaines personnes étaient capables d’utiliser leurs ressources à leur pleine capacité et d’autres pas. » Ce dernier s’est alors interrogé sur la façon d’utiliser « l’énergie humaine et comment la libérer de façon optimale » (Rathunde, 2001 : 142, cité par Heutte 2019 : 89) en se fondant sur l’observation de l’individu et en tenant compte de son expérience.

Quant à Maslow, il a été non seulement un des premiers à s’intéresser « aux aspects positifs de l’expérience humaine », mais également à utiliser le terme de psychologie positive dans ses écrits. Dans The American Psychologist, Seligman et Csikszentmihalyi (2000) affirment que cette dernière s’intéresse également à l’éducation et essaie « d’adapter les meilleures méthodes scientifiques au problème unique que présente le comportement humain à ceux qui veulent le comprendre dans toute sa complexité » et vise davantage « l’étude de la force et de la vertu » et tente de « favoriser ce qu’il y a de mieux » chez l’individu (Heutte, 2019 : 92-93).

Par ailleurs, Esseily & Guellaï (2018), chercheurs en psychologie du développement, expliquent les différentes recherches menées par Bandura, Piaget et Kolberg sur le développement moral à l’adolescence. Ces trois psychologues se rejoignent dans le fait que « les enfants doivent avoir atteint un niveau cognitif déterminé pour comprendre certains types de raisonnements moraux. » Ils ont étudié l’attitude des jeunes face aux comportements déviants et l’influence certaine des pairs.

En ce sens et plus précisément, d’après les travaux de Fischer (2015), dans une foule ou dans un groupe, l’individu change, car il imite le comportement des autres (Tarde) de sorte que la formation d’un être nouveau apparait : il s’agit entre autres de « l’âme collective » qui serait due à la contagion mentale (Le Bon), mais serait davantage liée à l’affect et aux relations amoureuses, d’après Freud. Selon Le Bon en effet, les comportements sont influencés, car « les émotions et les opinions se communiquent et, par-là, se multiplient et se renforcent. » On observe alors un « phénomène hypnotique » appelé « fascination » qui serait déclenchée par le meneur sur ses membres.

Ensuite, d’après Antonio Damasio (1995 : 24-32), « la capacité d’exprimer et de ressentir des émotions est indispensable à la mise en œuvre des comportements rationnels ». De plus, la capacité de percevoir les émotions corporelles dépendrait des circuits cérébraux et permet « la bonne ou mauvaise adéquation entre les adaptations de l’organisme aux circonstances extérieures. »

Enfin, d’après Fortin, pionnier de l’éducation psychosociale, « il n’est pas possible de déposer à la porte de l’école le poids d’émotions intenses, peur, colère, anxiété, issues du milieu familial, et qui vont accompagner, influencer les comportements en classe ». Selon son confrère, Maridjo Graner, ces compétences sont « nécessaires au vivre et travailler ensemble. » Pour les Anglo-saxons, il faut se focaliser sur les habiletés ou les dons et les « optimiser et les fructifier tout au long de la vie. » C’est la mission de la famille, de l’école et de la société.

3.   Les liens d’attachement sécures, la résilience et l’intelligence émotionnelle au profit des apprentissages

Premièrement, Frappier (2012), président de la Société canadienne de pédiatrie, affirme que « les effets des premières années sur les chances de réussite de l’enfant plus tard dans la vie sont incontestables ». C’est ainsi que « les neurosciences démontrent que les premières expériences des enfants ont des conséquences capitales non seulement sur leur santé, leur apprentissage, mais encore leur comportement plus tard. Ce que vivent les jeunes pendant cette période peut les suivre sur le trajet de toute une vie, pour le meilleur ou pour le pire ».

Effectivement, la maltraitance peut créer non seulement des troubles psychiques chez ceux qui la subissent et nuire à l’apprentissage, mais il faut savoir que l’âge compris entre dix et douze ans correspond à la période la plus tumultueuse du développement du cerveau et que ce dernier continue d’ailleurs à évoluer au-delà de vingt ans (Johnson et al, 2009 cités par Sunderland, 2019).

Cependant, ces difficultés sont réversibles, car d’après l’explication du neuropsychiatre Cyrulnik (2012), « les modèles internes d’attachement (sécure, insécure, désorganisé et ambivalent/résistant[3]) envers le(s) parent(s), construits pendant l’enfance, peuvent se consolider ou bien se reconstruire au cours des expériences que rencontre le sujet, tout au long de sa vie. » En effet, Barudy (s. d.) également neuropsychiatre, reprend les travaux de son confrère et propose un programme favorisant la résilience, l’évolution et le changement grâce à ce qu’il appelle « un tissu social d’appartenance transitionnelle. » Le but de ces spécialistes est de « potentialiser les ressources naturelles dont disposent les enfants pour affronter le défi de vivre » malgré la maltraitance et les traumatismes subis.

De plus, d’après Dufresne et al. (2012), les facteurs relationnels d’amitié comme la qualité des relations, l’absence de relations et ce qui caractérise les amis eux-mêmes, ont une influence sur les jeunes à la fois au niveau cognitif ou comportemental qui feront qu’ils deviendront soit prosociaux soit antisociaux. Ils ont également un impact au niveau du sentiment de bien-être ou des problèmes intériorisés comme la solitude ou les sentiments dépressifs éprouvés par les jeunes.

Ensuite, d’après « Gardner,[4]le père de la théorie des intelligences multiples, l’utilisation de la fluidité et des états positifs qui la caractérisent est le moyen le plus sain d’éduquer les jeunes, car cela revient à les motiver intérieurement et non par la menace ou la perspective d’une récompense » (Goleman, 2015 : 143). On établit un profil des talents naturels de l’enfant et on travaille « ses points forts tout en essayant de renforcer ses points faibles ». En effet, une intelligence émotionnelle élevée favorise aussi la réussite et les apprentissages (Mayer, Roberts et Barsade, 2008 cités par Masson, 2019).

Pour terminer, le philosophe humaniste Paulo Freire de nationalité brésilienne prônait la pédagogie de l’autonomie et avait une grande confiance en ses éducateurs. Lui-même progressiste, il a lutté activement contre la hiérarchie en éducation puisqu’elle n’accorde le pouvoir et le savoir uniquement au maître alors que Freire souhaitait que l’élève devienne acteur de son savoir. Il souhaitait « une éducation porteuse de citoyenneté et respectueuse des milieux sociaux. » Il rejoignait la pédagogie Freinet en ce sens qu’ils avaient les mêmes rêves et objectifs. Ce dernier souhaitait en effet l’acquisition de techniques de vie constructive.

4.    Les 12 besoins psychosociaux des enfants au service des pédagogies émancipatrices

D’après Pourtois et Desmet (2015), Docteurs en Sciences psychopédagogiques, venus spécialement en mai 2019, en Martinique, au Congrès sur l’Éducation et la Résilience, il existe 12 besoins indispensables pour grandir, repris par leur confrère neuropsychiatre Barudy (s. d.) pour lesquels une pédagogie adaptée pourra être privilégiée afin de combler les besoins repérés en amont chez les élèves. Il s’agit :

– Des besoins affectifs avec le besoin d’affiliation. Ainsi, la pédagogie des expériences positives permet de développer l’attachement, la pédagogie humaniste quant à elle favorise le sentiment d’acceptation et la pédagogie de projet permet de déclencher l’investissement de l’adolescent.

– Des besoins cognitifs comprenant le besoin d’accomplissement sont satisfaits grâce à la pédagogie différenciée qui permet la stimulation. Puis la pédagogie active encourage l’expérimentation et la pédagogie béhavioriste facilite le renforcement.

– Des besoins sociaux en faveur d’une autonomie sociale. Ainsi grâce à la pédagogie interactive, la communication est facilitée, puis le besoin de considération est comblé grâce à la pédagogie du chef-d’œuvre et enfin la pédagogie institutionnelle, quant à elle, permet de combler le besoin de structures.

– Des besoins de valeurs englobant les besoins de bien et de bon, de vrai et de beau peuvent être satisfaits par toutes les pédagogies en général.

En outre, « l’enfant comme l’adulte, a des besoins physiques et psychologiques indépassables. Si ces derniers ne sont pas satisfaits, ils peuvent devenir envahissants, se transformer en frustrations, en peurs. » Pire, si les élèves sont empêchés d’exprimer leurs besoins et leurs émotions, ils auront tendance à adopter des comportements perturbateurs.

Margot Sunderland, psychothérapeute et Directrice pédagogique du Centre pour la Santé Mentale des Enfants à Londres, (2019) précise que « l’adolescence est une étape développementale de changements majeurs » à la fois « neurologiques, psychologiques, physiques, hormonaux, sociologiques et sexuels. Par conséquent, les turbulences sont inévitables. Si l’on n’y prête pas attention, cela aura pour conséquence de « gâcher leur vie d’adulte. » Ainsi, elle a créé des questionnaires (en libre accès) afin de mesurer et de faire acquérir ce qu’elle appelle : les aptitudes de vie.

Or, Dreikurs, psychologue américain, pense que « si les élèves choisissent de mal se conduire, c’est parce qu’ils croient à tort que ces comportements leur apporteront la reconnaissance qu’ils recherchent » (Chevallier et al., 2013 : 34). En effet, nous ne devons pas oublier que la culture de l’adolescent se construit d’ailleurs par le groupe social, comme le décrit si bien Le Breton, dans Cultures adolescentes (2008).

D’une part, les adolescents sont en crise identitaire comme le souligne Cannard (2019 : 196-197) d’après les travaux de Erikson puis de Marcia et que « si le jeune sort de ces différentes identités et prises de rôle conflictuelles, alors il émargera une nouvelle conception de soi acceptable, car cette période d’expérimentation demande un réel effort de la part du jeune  pour trouver sa place dans le monde, pour être vrai avec soi-même » tout en sachant que  « l’individu oscille continuellement entre différenciation et similitude suivant le contexte et l’environnement dans lequel il se trouve, tout au long de la vie ».

5.   La posture et la gestion d’autorité favorisant les apprentissages et l’épanouissement des adolescents en difficulté de comportement.

Tout d’abord, Tambareau (2019) illustre parfaitement le changement de posture que doit adopter l’éducateur ou l’enseignant : il aimerait qu’on arrête « de considérer les élèves perturbateurs comme des coupables d’entraver la bonne marche de la classe ou du cours, de gêner le travail des autres élèves, d’exaspérer leurs enseignants et de ne faire aucun effort pour s’améliorer ». À ses yeux, les enseignants manquent de formation se sentent coupables et démunis face aux troubles du comportement des élèves malgré les Programmes Personnalisés de Réussite Éducative (PPRE) et autres Plans d’Accompagnement Personnalisé (PAP). Il aimerait que l’on considère « l’élève perturbateur » comme « un élève en souffrance. »

D’ailleurs, afin de « faire de l’école un lieu hospitalier susceptible d’accueillir tous les enfants », on encourage ce qui est appelé la politique du « care » qui nécessite « la participation et l’engagement de tous les membres de la communauté éducative. » Pour ce faire, on privilégie donc « les relations de coopération », le cadre, la motivation pour prévenir la violence et favoriser un bon climat scolaire en accordant une place légitime aux compétences psychosociales. (Roux-Lafay, 2016 cité par Gaussel, 2018). En ce sens, Zipora Shechtman a révélé que « l’empathie de l’enseignant diminue l’agressivité des élèves. » En effet, « pour faire face aux comportements déviants de leurs élèves », les adultes doivent d’abord « avoir développé l’empathie chez eux-mêmes » pour pouvoir ensuite la développer chez les jeunes (Guéguen, 2018) dont le profil identitaire de l’élève (rebelle ou émotionnel) pose problème en classe (Michel, 2015).

De plus, quand un professeur aime son travail et se sent soutenu par ses confrères, les élèves et les étudiants le sentent et cela favorise grandement les apprentissages comme le décrit si bien Maël Virat, Docteur en Sciences de l’Éducation, dans ses travaux sur l’amour compassionnel n’incluant ni réciprocité ni exclusivité envers les élèves. En effet, une relation affective de qualité envers un professeur et un élève a pour objectif de mener ce dernier vers la réussite et l’autonomie.

Ainsi, dans le code de l’éducation, il est inscrit que « le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle et d’exercer sa citoyenneté ».

La participation de la communauté éducative est donc essentielle si bien qu’il est fort utile de savoir repérer les 4 styles parentaux d’éducation ainsi que la gestion de l’autorité du personnel scolaire (Cannard, 2019) :

– L’autoritariste rappelle les limites constamment et punit pour maintenir l’ordre à tout prix et a peu d’échange avec les jeunes ce qui crée un manque d’assurance et de responsabilité chez ces derniers qui deviennent hostiles et dont les rapports sont souvent conflictuels avec les autres.

– Le permissif les laisse en autonomie, mais les soutient peu si bien que les adolescents ont des difficultés d’acquisition des compétences et du contrôle d’eux-mêmes.

– Le désengagé manque d’investissement, de sensibilité et de contrôle à cause de soucis personnels qui ont pour conséquences un manque de communication et conduisent le jeune vers un comportement antisocial et la délinquance.

– L’autoritaire ou le démocratique est celui qui favorise le mieux le développement de l’adolescent, car il est à l’écoute des besoins de ce dernier tout en étant capable de dialoguer pour lui expliquer les limites et les règles.

Pour certains, « rester parent, c’est garantir une distance générationnelle, le soutien au moment adéquat et le contrôle quand c’est nécessaire » (Jeammet, 2008 ; Marcelli, 2012, cité par Cannard, 2019). Mais « Il y a des parents qui veulent à tout prix, maintenir le prestige de l’autorité et qui ne réussissent qu’à installer, dans leur foyer, le spectre hideux de la tyrannie. Ils font, de leurs enfants, des esclaves ou de sauvages petits rebelles » (Tristan Bernard, cité par Cannard, 2019, p. 234) que nous retrouvons à l’école. 

source : https-//www.aroeven-hdf.fr/formations-vie-scolaire/former-les-eleves-aux-competences-psychosociales

6.   L’éducation psychosociale en Martinique : entre traditions et innovations

D’une part, en effet, toute équipe volontaire portant un projet peut être soutenue et accompagnée, au niveau national, par le Département Recherche-Développement Innovation et Expérimentation (DRDIE) et soutenue localement, par la Cellule Académique Recherche, Développement, Innovation, Expérimentation (CARDIE).                  

Dorénavant, les nouveaux enseignants et futurs CPE sont formés à la gestion des conflits et aux compétences psychosociales, au sein de l’Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation (Inspé) de Fort-de-France en lien avec le Ministère. Une formatrice CPE a pu, grâce à cette formation, former 56 délégués de classe aux compétences psychosociales en 2013-2014.

Aussi, dans le Bulletin officiel n°16 du 18 avril 2019, ont également été prévus, des modules de formation d’initiative nationale en faveur de la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers, dans toutes les régions de France et d’outremer. À l’Inspé de Fort-de-France, du 20 au 25 janvier 2020, il s’agissait « d’appréhender les troubles du comportement et de la conduite selon des axes théoriques, pragmatiques, et pédagogiques afin de pouvoir répondre aux besoins des élèves concernés ». L’objectif de la formation était de « comprendre la problématique sous-jacente aux troubles du comportement et du désir d’apprendre », mais également d’apaiser le climat scolaire avec les élèves perturbateurs en adoptant une communication adaptée aux problématiques du contexte.

D’autre part, la conférence stratégique des pédagogies du 12 juin 2019 (conçue à la base pour des CPE et des chefs d’établissement) a donné des informations pertinentes, non seulement, sur la mise en place des projets en faveur des compétences psychosociales, mais aussi sur leurs effets, à long terme et la nécessité de les réitérer régulièrement pour en maintenir leur usage. L’atelier 6 avait pour thème la pédagogie et la vie scolaire et fut animé par la coordinatrice REP + également formatrice académique sur le développement des compétences psychosociales. Cet atelier portait d’ailleurs sur comment agir durablement sur le climat scolaire pour améliorer la vie de tous et favoriser la réussite de tous les élèves ? Découvrez comment il est possible de mettre en œuvre un plan d’action sur plusieurs échelles : élèves, parents et personnels. »

De plus, d’après deux études menées par les économistes James Heckman (Prix Nobel) puis Richard Belfield, investir maintenant un dollar dans le développement les compétences socio-émotionnelles visant à améliorer celles des professionnels de l’enfance est extrêmement rentable économiquement. En effet, une fois formés, ils pourront les transmettre aux élèves. « Cela permet d’économiser 100 $ à l’âge adulte en prévenant les risques de chômage, de délinquance et autres types de déviance » et favorise les comportements prosociaux que sont le fait d’aider, de partager, de réconforter et de coopérer (Guéguen, 2018 : 141).

Enfin, les 15, 16 et 17 mai 2019, le XVIIIe Congrès de l’AIFREF (Association Internationale de Formation et de Recherche en Éducation Familiale) portait sur le thème : Éducation et Résilience. À cette occasion, des spécialistes de l’éducation et des chercheurs de seize pays du monde entier sont venus à Schœlcher pour apporter leurs témoignages sur la capacité à rebondir après un traumatisme, dont le spécialiste du domaine n’est autre que l’éthologue Cyrulnik. Y ont été évoqués, en début de congrès, les enfants de Martinique porteurs de mal-être, remplis de traumatismes liés à la perte d’un parent, à la maltraitance (1/6 des filles et 1/4 des garçons), aux souffrances ancestrales, au climat, aux épidémies, aux grèves et aux catastrophes aériennes et routières. On y propose un accompagnement des familles et un développement psychosocial positif afin de leur venir en aide. Le Docteur Delattre qui représentait Pascal Jan, le Recteur a dit au sujet de ces enfants « la vie leur a posé problème, mais nous voulons qu’ils avancent comme les autres avec le grand espoir d’aller au-delà des souffrances qu’ils auront vécues. » L’éducation c’est la solution, c’est l’outil d’émancipation et de création par la culture. Ils font de leurs blessures un monde neuf. » Alors comment peut-on faire concrètement pour atteindre cet objectif ?

7.   L’observation et le recueil de données

En immersion, j’ai pu commencer à observer les comportements et les pratiques éducatives en Martinique, dans un collège de 540 élèves en zone urbaine.

J’ai tout d’abord constaté que certains adolescents et adultes avaient des rapports de force avec leur entourage, de type dominant-dominé (Farraudière, 2007). Ces relations tendues pouvaient aboutir à des comportements agressifs qui ont un lourd impact sur la classe, la communauté éducative, la scolarité des jeunes et bien entendu, sur le climat scolaire.

D’une part, ces premières constatations m’ont dirigée vers la psychologie sociale et « La Docteure en neurosciences, Claire-Emmanuelle Laguerre, qui étudie les traces laissées par l’histoire, dans l’inconscient. D’après elle, petits et grands ont une psychologie fortement marquée par l’histoire même s’ils ne l’ont pas beaucoup étudiée. Les traits communs seraient la peur du manque et le sentiment d’infériorité, le manque de confiance en soi et la difficulté à s’affirmer. Revient alors la question de l’identité du peuple. Comme réactions, on observe à la fois, la passivité et l’effacement chez certains, mais également, la colère et la violence chez d’autres, qui se retrouveraient de façon cyclique, dans les manifestations sociétales. Dans certains comportements, on retrouve ce désir de s’affirmer ou de non reconnaissance et c’est ce qui crée, de nos jours, cette fracture, à la Martinique. La fêlure post esclavagiste serait ce trouble identitaire, cette grande difficulté à s’unir malgré la grande culture que les Martiniquais ont en commun » (Bellerose, E. et Bez, D. (réalisateurs). (2020). Vivre avec les stigmates de l’esclavage en Martinique. Martinique Première).

Afin d’optimiser cette recherche, j’ai fait une analyse secondaire à l’aide d’informations et de données préexistantes réunies dans deux documents mis en ligne par la Direction de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale de Martinique. Ce recueil de données pertinent s’intitule « Chiffres clés de la jeunesse en Martinique 2016 » (et réactualisé en 2018) a été publié par le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports et réalisé par la Plateforme d’Observation Sociale et Sanitaire de la Martinique.

D’une part, au regard des spécificités familiales et scolaires, 1/5 des Martiniquais vivent en dessous du seuil de pauvreté. Chez les moins aisés, les revenus sociaux sont la principale composante du niveau de vie. De plus, 55 % des familles de cette île antillaise sont monoparentales (Lefaucheur, 2018). Ensuite, quand on observe la répartition des enfants (0-10 ans) selon leur histoire familiale, seulement 38 % d’entre eux naissent au sein d’un couple qui perdure alors qu’ils sont 78 % en France métropolitaine. (INSEE, 2015).

En matière de violences conjugales, les chiffres sont élevés et la situation économique et sociale est difficile. Il y a de plus, entre 30 et 40 faits violents en Martinique chaque année. Ensuite, que ce soit en matière d’atteinte volontaire à l’intégrité physique des personnes ou en ce qui concerne l’atteinte aux biens, il en découle une baisse continue de la délinquance des personnes majeures et mineures. En revanche, la circulation d’armes est en augmentation. Telle est la conclusion de la gendarmerie nationale en 2014 et 2015.

Le Projet Académique 2018-2022, dans la lignée de la politique éducative nationale, est en faveur d’une école bienveillante, exigeante, innovante, en confiance avec les acteurs – qu’ils s’agissent des personnels, des parents, des élèves et des partenaires –; une réunion du groupe de suivi du projet est prévue, deux fois par an, pour cela. En ce sens, les objectifs du recteur Pascal Jan sont de « construire un climat scolaire propice aux apprentissages (bienveillance, réussite scolaire, inclusion…) et de promouvoir une équité des territoires (à l’aide de l’égalité des chances, les offres de formation…). »

Or, ce qui est contradictoire, c’est que la Martinique détient le record du nombre d’exclusions scolaires au niveau national. Par ailleurs, la circulaire du 1er août 2011 « Organisation des processus disciplinaires, mesures de prévention et alternatives aux sanctions » veut diminuer le nombre d’exclusions définitives dans le sens où on ne règle pas les problèmes de l’élève, on les déplace seulement. Il faut par conséquent favoriser la mesure de responsabilisation. En effet, le développement socioaffectif peut être perçu comme un outil éducatif complémentaire à la sanction.

L’académie de la Martinique rapporte que le nombre d’élèves est en baisse constante : on y comptabilise 37 220 élèves dans le premier degré et 38 913 élèves dans le second degré.

Mais cela n’a pas d’incidence sur les taux de réussite au Diplôme National du Brevet qui sont en progression (87,3% en 2016) et le taux de mention est identique à celui de la métropole soit 58,5%. Quant au baccalauréat général, il est en légère baisse. En revanche, les baccalauréats professionnels (81 %) et technologiques se maintiennent (90,0%). (DEPP-RERS 2017).

Les Martiniquais font de plus en plus d’études supérieures, mais sont cependant peu nombreux à obtenir leur diplôme avec 14,9 % contre 25,7% en France hexagonale, mais ce sont les filles qui sont les plus scolarisées parmi les 18-24 ans. Quant aux garçons, à l’âge de 18 ans, ils quittent le territoire pour la métropole afin de trouver un travail ou pour faire leurs études. Les filles, quant à elles, sont souvent inactives et plus fréquemment mères jeunes. 2/10 jeunes ne sont d’ailleurs pas diplômés parmi les 15-29 ans, en Martinique, contre seulement 13,4 % dans l’hexagone. Ensuite, 66,5% des filles sont diplômées du supérieur, contre 55 % chez les garçons. Quant aux formations de BEP et de CAP, 18 % des filles et 23,1 % de garçons choisissent ces filières. (Académie de la Martinique et INSEE, 2016).

Le nombre d’élèves dits « décrocheurs » est en baisse de 48 % en 5 ans. En 2016, l’académie dénombrait 1370 élèves sur le département, mais cela risque d’augmenter suite à la fermeture des établissements scolaires, depuis janvier 2020.

D’après Baromètre Santé Dom 2014, 1/3 des élèves de 6 à 14 ans vont à l’école à pied ou à vélo.

En 2015, le taux de chômage est de 18 %. En revanche, en 2017, chez les moins de 25 ans, il est plus élevé avec un taux de 63 % en augmentation pour les filles contre 38 % pour les garçons, en baisse par rapport à 2013 (Insee – Enquête Emploi 2014, 2015 et 2016).

Ensuite si on observe la population, la tranche des 0-24 ans, en Martinique, est en baisse, car elle est passée de 135 000 jeunes en 2008 à 110 218 jeunes en 2015. Le nombre de migrations vers l’extérieur est plus important que le nombre d’arrivées et c’est le département où il y a le plus de personnes âgées.

« Même si la Martinique ne connaît qu’un taux d’immigration assez faible (2,1%) par rapport à la moyenne nationale (8,1%), l’intégration des immigrés n’en demeure pas moins un objectif important. Elle est au fondement de la promotion du principe de vivre-ensemble » (DRJSCS de Martinique, 2017).

Par exemple, localement, il existe des classes d’immersion linguistique pour les élèves d’un collège de Fort-de-France qui viennent des pays et îles hispanophones et anglophones. Il y a également une professeure de Français Langue Étrangère d’origine américaine, doctorante en sociologie, Catheline Butcher, qui fait découvrir la langue française à un groupe de six élèves à travers le Slam et la musique. Cette recherche a pour but de permettre la reconnaissance de l’identité plurielle à travers la culture.

Par conséquent, il nous semblait primordial d’évoquer les élèves allophones, car certains d’entre eux issus d’un pays en guerre ou d’une île qui a connu une catastrophe climatique, ont vécu des choses difficiles, voire traumatisantes, ont tout perdu pour certains, ce qui peut avoir des conséquences non négligeables sur leur comportement ou humeur, en classe. Les CPE et les enseignants doivent, en effet, tenir compte de la diversité des élèves (compétence 4 du référentiel de 2013).

Toutes ces informations, dont nous disposons là, sont non négligeables et expliquent le fonctionnement familial et social en mutation.

Grâce aux recherches, réflexions et actions innovantes en éducation présentées en introduction (p.8) lors du Congrès de l’AIFREF en 2019, les éducateurs sont plus à même de « permettre aux populations blessées » par « les traces » et la transmission des traumatismes que sont « l’esclavage et le colonialisme » dans la Caraïbe, de « se relever » et de contribuer ainsi par leur bienveillance à la résilience de celles-ci et de celles d’autres pays.

8.   Méthode de recherche

En premier lieu, une recherche descriptive sur les phénomènes sociaux et humains m’a paru nécessaire avant d’entamer une recherche engagée en pédagogie et axée sur la psychologie positive. Ainsi, notre hypothèse de recherche est que le développement des compétences psychosociales peut être un moyen de prévention (Debarbieux, 2016 ; Favre et Zanna, 2019) et de lutte contre les « préjugés raciaux » et les « rapports de dominant-dominé » (Farraudière, 2007) observés entre adultes et adolescents dans les établissements scolaires. Pour confirmer notre hypothèse, nous avons mis en œuvre des moyens pour évaluer les besoins des élèves de 6e et de 3e et ceux des éducateurs, au niveau psychosocial, au sein d’un collège de Fort-de-France.

Les indicateurs suivants nous intéressent pour notre projet de renforcement des compétences :

– Le vécu et les difficultés de huit assistants d’éducation.

– Les interactions entre les adultes (personnels et parents) et les adolescents.

– Le niveau d’empathie des élèves exclus pour violence.

– Le comportement d’une classe de 3e difficile.

Afin de mesurer ces indicateurs, nous avons utilisé les outils suivants pour la recherche qualitative :

– Un questionnaire interactif élaboré spécifiquement pour l’équipe éducative lors de la formation à la bienveillance et aux compétences psychosociales (Masson, 2019).

– Une échelle pour mesurer l’empathie basée sur les travaux de Favre qui a traduit celle de Mehrabian : (contagion émotionnelle / empathie / coupure émotionnelle) lors d’entretiens individuels, pour 5 élèves de 6e agressifs et 1 élève non perturbateur en tant que témoin.

– Un questionnaire d’auto-évaluation du comportement élaboré par le groupe départemental (inspecteurs, enseignants et personnel médical) de l’académie de Dijon.

– Les rapports des professeurs, des éducateurs et des élèves lors des incidents.

– Les infractions au règlement intérieur (notées dans le logiciel Pronote) en rapport avec un comportement inadapté.

– Les fiches individuelles ou les cahiers de suivi des élèves.

Les observations ciblées et les résultats que nous obtiendrons vont nous servir, en pédagogie différenciée, pour cibler les problématiques et les compétences à développer grâce aux ateliers de parole, jeux de rôles et exercices ludiques en choisissant parmi des supports pédagogiques élaborés par Tartar Goddet, 2008 ; Zanna, 2019 et Sunderland, 2019 qui seront présentés et testés individuellement (ou envisagés dès la réouverture des établissements).

9.   Le bilan de la formation auprès des éducateurs et celui de l’enquête auprès des élèves

Il ressort, d’après les premiers témoignages des 8 éducateurs formés et des 2 CPE témoins par rapport aux questions que j’avais proposées pour le contexte à savoir que :

Certains ont avoué devant leurs collègues qu’ils ont eux-mêmes été des adolescents turbulents, ce qui a eu pour conséquence de décontracter l’ambiance. De plus, ils ont été bousculés par mes questions d’ordre personnel sur leur éducation et leurs valeurs, comme ils l’ont dit.

Ensuite, j’ai relevé une certaine résilience chez ceux qui n’ont pourtant pas bénéficié d’emblée de bienveillance de la part des adultes, dans leur enfance ou dans leur milieu scolaire :

L’une s’est auto-encouragée. Les autres savent faire preuve d’écoute et d’accompagnement envers les élèves maintenant, et ce, malgré une éducation stricte, ou des violences physiques, ou un sentiment de rejet, ou ressenti du racisme à leur égard, car ils ont bénéficié d’encouragement et de bienveillance soit de la part de leurs camarades de l’époque, soit de la part de leur famille. Cela confirme la théorie de Cyrulnik et de Barudy à savoir que la résilience est favorisée par « un tissu social d’appartenance transitionnel ».

Un membre du personnel, élève à l’époque, est même devenu porte-parole et médiateur de ses camarades quand son professeur de collège leur a dit : « Enfoirés, vous êtes la pire classe de l’établissement. »

Une autre éducatrice a reçu une claque en CM2 et était qualifiée d’élève perturbatrice, mais en a retenu que ce n’est pas par la répression qu’on change les choses, mais par l’accompagnement. Et, cela a provoqué chez elle un acharnement positif.

Une autre assistante d’éducation a pour principe d’aider les autres et d’avancer ensemble et elle n’a ressenti ni rejet, ni subi de harcèlement, durant l’enfance.

Une autre personne voit la communication comme une des meilleures façons d’aider les enfants. Comme un professeur ne croyait pas en elle, car elle était lente, elle est allée lui montrer son diplôme du bac, une fois obtenu.

Enfin, par rapport à leur vécu, certaines éducatrices perçoivent que l’insolence est malheureusement devenue une norme et certains parents leur reprochent à tort de s’acharner sur leur enfant. Beaucoup d’assistants d’éducation font d’ailleurs une activité physique pour se défouler.

Pour une assistante d’éducation, j’ai noté une distanciation post conflit avec un élève (exemple : la figure parentale était visée lors d’un conflit, mais pas l’éducatrice directement).

Je leur ai conseillé de pouvoir mettre en valeur leurs goûts et leurs talents en tant qu’éducateurs au profit des élèves. Justement certains le font à travers un atelier numérique, l’écriture, l’expression, les mots mêlés, en salle d’étude, ou l’élevage de chats et dernièrement à travers la prévention des conduites à risques au sein des Parcours Santé et Citoyenneté. Quant aux autres, ils partagent avec les élèves des astuces sur les jeux vidéo, les moyens de réparer la console de jeux ou bien un atelier culinaire.

La capacité d’analyse de soi et de ses valeurs, recherchée par mon questionnaire a bien fonctionné. Cependant, certains assistants d’éducation ont, depuis la formation, donné beaucoup d’heures de retenue. Pour l’un d’entre eux, réfractaire à la bienveillance, depuis l’an dernier, si les élèves lui parlent mal, il a précisé qu’il fera de même. Il a même mis en doute les travaux de recherche présentés à la fin de ma formation, sur la bienveillance.

Ensuite, j’ai utilisé deux questionnaires qui sont au service du repérage des difficultés des élèves : Pour ce faire, dans une classe de 3e, 20 élèves sur 30 ont répondu à un questionnaire d’auto-évaluation du comportement de l’Académie de Dijon, le 19 novembre 2019. Les données de cette classe reconnue comme dissipée et qui ne travaille pas en Français ont fait ressortir les résultats suivants :

Seulement 30% des élèves avouent arriver toujours à l’heure.

10% d’entre eux ne sortent jamais leur matériel en classe. 

50% s’appliquent toujours pour faire bien leur travail.

Seulement 20 % des élèves font leurs devoirs à chaque fois.

20 % ne participent pas activement en classe.

25 % restent constamment attentifs en classe.

57,9 % des élèves sont autonomes dans leur travail.

68,4% acceptent toujours de travailler en groupe.

80 % aident leurs camarades.

100 % des élèves se respectent eux-mêmes.

75 % des élèves respectent toujours les adultes et 25 % parfois.

50 % respectent toujours les autres élèves et 50% parfois.

55 % respectent toujours les règles de vie collective.

90 % respectent toujours les lieux et le matériel et 10 % parfois.

10,5 % ne demandent jamais de l’aide.

55 % des élèves ne se confient jamais à un adulte de l’établissement.

10,5 % des élèves ne se confient jamais à un élève de l’établissement et 5,3 % ne savent pas.

30 % des élèves interrogés ne se sentent pas en sécurité, 15 % toujours et 20% ne savent pas.

50 % d’entre eux ne vont jamais au collège avec plaisir.

Ensuite, j’ai mesuré séparément, à l’aide des 12 questions de Favre, le niveau d’empathie (avec un taux normal autour de 7 et plus), de coupure émotionnelle (avec un taux normal entre 2 et 3) et de contagion émotionnelle (avec un taux normal entre 2 et 3) de 5 élèves agressifs.

Il y a Kévin le bagarreur qui vit en foyer et a un bon niveau d’empathie (9) et qui n’a fait que se défendre après enquête. Puis, Samuel l’autre bagarreur qui est émotif et susceptible et est trop dans la coupure émotionnelle (5), car il souffre de la perte de tous ses amis de CM2. Je l’ai fait s’identifier à son héros de manga préféré pour déployer son bouclier de protection face aux autres. Il y a également une élève absente et dissipée qui est trop dans la coupure émotionnelle (4) et a un cahier de suivi qui n’a pas été signé. Ensuite, il y a bien un élève harceleur suivi par l’infirmière et l’assistante sociale et qui a un niveau d’empathie trop faible (3). Et enfin, une jeune fille équilibrée et épanouie qui me sert de témoin, qui n’a aucun problème de comportement et a un bon niveau d’empathie (9).

J’ai reçu séparément en entretien semi-directif tous ces élèves en posant moi-même les questions.

Je les fais toujours se projeter dans leur avenir afin de donner du sens à leur apprentissage.

J’ai voulu faire une vérification empirique en mettant à l’épreuve la théorie de Favre à savoir qu’un élève harceleur est dépourvu d’empathie. J’ai expliqué à ce jeune homme que j’étudiais les comportements dans le cadre de mes études et il a accepté de le faire. Il a très peu d’empathie en effet (3) et ne peut donc pas comprendre la souffrance des autres. Je devrai donc la développer chez lui à l’aide de la biblio thérapie, (Guéguen, 2018), des jeux de rôles et des activités sportives (Zanna, 2019).

J’ai eu des retours positifs de la part des élèves sur ma façon de procéder et des prises de conscience et tout l’établissement où je suis collabore activement afin de faire réussir même les plus fragiles et œuvre, depuis de nombreuses années, dans ce sens en développant les compétences psychosociales des élèves grâce à un atelier TICE d’orientation pour les décrocheurs.

En conclusion, l’individu peut s’améliorer grâce à ses expériences et l’imitation et même briser le déterminisme social si des « adultes modélisants » (Sanchez-Lamétairie citée par Debarbieux, 2018) ou leurs pairs leur donnent les moyens pour le faire. En effet, « en abordant le contexte scolaire dans une approche globale et positive, en comprenant mieux le contexte dans lequel les enfants évoluent et les caractéristiques pouvant influencer leurs comportements, les interventions des adultes ont plus de chances d’obtenir des résultats positifs » (Debarbieux 2016).

Enfin, cette étude m’a passionnée. J’ai interrogé, noté et observé de façon directe et indirecte, repéré les besoins pour tenter d’améliorer les situations délicates du quotidien et je tiens à dire que j’ai été étonnamment surprise par la maturité dont certains élèves en difficultés de comportement font preuve. Ce sont des citoyens en devenir qui testent les choses et commettent simplement des erreurs et essayent alors de se rattraper. Je suis convaincue que c’est en approfondissant ses connaissances de l’humain et en se formant aux différentes théories qui existent sur l’étude des comportements et des apprentissages, tout en faisant preuve de patience et de tact (Prairat, 2017) que l’on peut mieux cerner les conflits qui les habitent, à leur âge, et améliorer nos relations avec eux pour les aider à s’épanouir ou faute d’y arriver, à les aider à être davantage résilients ou persévérants.

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[1] Laboratoire de Recherche HESPER (Health Services and Performance Research) de Lyon.

[2] Voir page 195 plus en détails dans Démocratie et Éducation (2011).

[3] Théorie de l’attachement de Bowlby

[4] Bien que ses tests soient utilisés en classe de collège ici, en Martinique, sa théorie est sujette à controverse.

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